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Il est possible de prévenir les meurtres d'enfants en contexte de violence conjugale

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18 novembre 2022
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Par La Presse Canadienne

Ils étaient 16, sept filles et neuf garçons âgés de 10 mois à 15 ans, avec un âge moyen de 7 ans. Leur point commun? Ils ont tous été assassinés dans un contexte de violence conjugale. Dans tous les cas sauf un, des intervenants de divers services étaient impliqués dans ces dossiers, mais n’ont pas réussi à identifier les facteurs de risque que présentait la situation.

Après un premier rapport, en 2020, sur la violence conjugale, le Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale, mis sur pied par le Bureau du coroner, a publié jeudi son deuxième rapport qui porte, celui-là, sur la protection des enfants dans un contexte de violence conjugale. Avec ses 25 recommandations., le Comité espère arriver à réduire les risques d’infanticides dans les contextes de violence conjugale.

Les experts se sont penchés sur ces 16 décès survenus dans 11 dossiers différents, cinq d’entre eux impliquant deux enfants. Tous les agresseurs étaient des hommes, dans 14 cas le père des enfants, les deux autres ayant été tués par le conjoint ou l’ex-conjoint de leur mère. Dans quatre des 11 événements, l’agresseur a aussi tué sa conjointe ou ex-conjointe. Dans la majorité des cas, l’agresseur s’est également enlevé la vie.

Une grille d'évaluation des risques

Ces dossiers insoutenables ont servi aux 25 membres du Comité à préparer une grille d’analyse des facteurs de risque, l’objectif étant d’essayer de créer un outil pour identifier les situations de violence conjugale où les enfants sont à risque dans l’espoir de permettre des interventions avant que l’irréparable ne se produise.

Car si le Comité a étudié 11 dossiers, les statistiques en général sont tout à fait effarantes. Le rapport indique que de 2011 à 2020, 56 mineurs ont été victimes d’homicide commis par un parent ou un beau-parent.

La grille qui a servi à l’analyse des 11 dossiers présente 52 facteurs de risque d’homicide regroupés en sept catégories touchant l’historique de vie tant de l’agresseur que de la victime, le statut familial et économique, les dépendances et problèmes de santé, là encore des deux côtés de l’équation, les craintes pour la sécurité et pour le suicide et, évidemment, les comportements de harcèlement ou de violence de l’agresseur.

Trois facteurs de risque d'infanticide

Sur ces 52 facteurs de risque, seulement trois sont liés aux enfants, soit un conflit sur la garde des enfants, l’occurrence de menace ou de mauvais traitements à l’endroit des enfants et l’occurrence de menaces ou de violence conjugale en leur présence.

Dans les 11 cas analysés, les auteurs ont identifié jusqu’à 28 facteurs de risque qui étaient présents ainsi que certains où figurait l’ensemble des trois facteurs de risque liés aux enfants mentionnés ci-haut, sauf dans un cas où les informations étaient fragmentaires. 

Les facteurs les plus fréquents étaient dans l’ordre parmi les 11 dossiers, des antécédents de violence conjugale envers la victime (dans huit dossiers), des craintes de la victime à l’égard de l’agresseur, des craintes de proches de la victime, des propos et comportements stéréotypés, de la jalousie, notamment sexuelle et une perte d’emprise sur la victime (dans sept dossiers). On retrouve ensuite dans six dossiers une séparation récente ou imminente, des différends sur la garde d’enfants ou les droits de visite, une dépression de l’agresseur ou autres problèmes de santé mentale, des comportements délinquants non judiciarisés, des menaces de mort à l’endroit de la victime, des menaces ou des mauvais traitements envers les enfants, des menaces ou de la violence conjugale en présence des enfants et une absence de crainte des conséquences. Enfin, dans cinq dossiers, on note la présence d’un nouveau partenaire de la victime et un recours à la technologie pour intimider, harceler ou contrôler la victime.

On notera que les trois facteurs de risque liés aux enfants sont parmi les occurrences les plus fréquentes.

La rupture: drapeau rouge

De plus, si on retrouve une séparation imminente parmi les facteurs de risque dans six dossiers, les auteurs du rapport notent que «dans toutes les situations étudiées, les événements se sont déroulés pendant ou après une rupture entre l’agresseur et la conjointe victime de violence conjugale». 

Dans le détail, la rupture était imminente dans trois cas et datait de moins de six mois dans deux cas. Surtout, fait à noter, la séparation remontait à plus de trois ans dans cinq cas. «Ceci illustre que la violence conjugale post-séparation peut durer longtemps, et que le risque homicidaire ne s’éteint pas forcément au fil du temps», avertit-on.

Ressources présentes, signaux échappés

Dans la grande majorité des cas, des ressources d’aide ont eu l’occasion d’intervenir dans les événements de violence conjugale qui ont conduit à des décès d’enfants. Cependant, dans deux cas, la victime n’avait fait appel à aucune ressource et dans trois cas, l’agresseur n’avait pas bénéficié de l’intervention d’une ressource. 

Quelles étaient ces ressources? Chez les victimes, dans l’ordre de la fréquence d’intervention, les services policiers, les services sociaux, la Direction de la protection de la jeunesse, les services de santé et les maisons d’aide et d’hébergement. Chez les agresseurs, ceux-ci avaient eu affaire, dans l’ordre toujours, aux services policiers, à la DPJ, aux services de santé et aux services correctionnels avant de commettre l’irréparable.

La formation d'abord et avant tout

On ne se surprendra donc pas que la grande majorité des 25 recommandations tourne autour de la formation des gestionnaires et intervenants de tous les services sur la violence conjugale et sur l’exposition des enfants à la violence conjugale, des recommandations qui s’adressent à la DPJ, aux avocats en droit familial et aux avocats de défense, aux policiers, au directeur des poursuites criminelles et pénales, notamment en lien avec les conditions de remise en liberté des auteurs de violence conjugale, à la magistrature, surtout dans les cas de différends sur la garde d’enfants. 

Le Comité souhaite également que le ministère de la Justice fournisse un accès rapide et gratuit au plumitif aux intervenants en DPJ et organismes spécialisés en violence conjugale et que ceux-ci vérifient systématiquement les antécédents criminels des parents potentiellement auteurs de violence. 

Il recommande également à la DPJ et au ministère de la Sécurité publique d’accumuler des données et statistiques sur les situations de violence conjugale impliquant des enfants et de s’assurer que les policiers documentent la présence d’enfants dans les dossiers de violence conjugale où ils interviennent. 

Des avocats pour les enfants

D’autres recommandations suggèrent de légiférer pour assurer la représentation par un avocat d’un enfant exposé à la violence conjugale.

Enfin, il étend sa recommandation de formation sur la problématique de l’exposition des enfants à la violence conjugale à tous les niveaux, soit au Barreau du Québec, à la Chambre des notaires, à l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, à l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, à l’Ordre des psychologues du Québec, à l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec ainsi qu’aux CIUSSS et CISSS qui emploient des personnes agissant comme médiatrices et médiateurs familiaux, recommandation qui s’étend, bien sûr à leur personne. 

La violence conjugale au-delà des coups

Dans son premier rapport, le Comité avait insisté sur la notion de violence conjugale et ce qu’elle signifie. Il rappelle donc, dans ce deuxième rapport, que «la violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique. Elle ne résulte pas d’une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. Elle peut être vécue dans une relation maritale, extramaritale ou amoureuse, à tous les âges de la vie.»

«Enracinée dans l’inégalité entre les sexes, la violence conjugale est avant tout un processus de domination aux ressorts psychologiques qui entraîne une privation de liberté.»

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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