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L'incertitude créée par Trump risque de nuire à l’industrie des semi-conducteurs

durée 15h13
4 février 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — L’incertitude créée par la menace de tarifs de Donald Trump risque de nuire à l’industrie des semi-conducteurs, un secteur d'avenir composé de plusieurs centaines d'entreprises canadiennes, dans lequel Ottawa et Québec ont investi des centaines de millions de dollars dans les dernières années et qui est fortement intégré au marché américain.

La vaste majorité des semi-conducteurs qui sont fabriqués aux États-Unis - 80 % selon le bureau du ministre fédéral François-Philippe Champagne - traversent la frontière pour subir des tests avancés et ensuite être assemblés dans les installations d’IBM à Bromont.

Une fois cette étape franchie, ces «micro-puces» sont renvoyées aux États-Unis où elles sont utilisées dans la fabrication d’équipement médical, d’ordinateurs, de voitures, de téléphones ou de technologies émergentes, telles que l’intelligence artificielle et l’informatique quantique.

Lors de sa visite au Canada au printemps 2023, l’ancien président Joe Biden avait indiqué que l’usine d’IBM à Bromont est «la plus importante pour le conditionnement et les tests de semi-conducteurs de l’Amérique du Nord».

Cette usine est le cœur d’un écosystème où gravitent des centaines d’entreprises canadiennes.

La majorité de ces entreprises, a expliqué Saibal Ray, professeur de gestion à l’Université McGill, sont «très spécialisées» et produisent des pièces qui peuvent être utilisées dans la fabrication des semi-conducteurs ou de la machinerie qui sert à assembler les semi-conducteurs.

«Ce n’est pas comme fabriquer des pantalons ou des t-shirts, on parle de très haute technologie, ça prend beaucoup de gens qualifiés et beaucoup d’investissements», a-t-il expliqué.

Selon le spécialiste des chaînes d'approvisionnement, si «des tarifs étaient imposés pendant trois ou quatre mois», le «coût des semi-conducteurs pourrait augmenter», mais l’existence de cette grappe industrielle ne serait pas remise en question.

Toutefois, «si ça continuait pendant six ou sept mois», des «entrepreneurs américains pourraient flairer une opportunité et décider d'ouvrir des installations pour cette partie de l'approvisionnement aux États-Unis», a expliqué Saibal Ray.

Des entreprises canadiennes pourraient aussi décider de déménager quelques dizaines de kilomètres au sud, de l'autre côté de la frontière, si des tarifs étaient imposés sur une longue période.

Pire, selon le professeur de gestion, on ne peut pas écarter un scénario où l’entreprise américaine IBM déciderait de rapatrier son usine aux États-Unis si des tarifs douaniers étaient appliqués pendant longtemps.

«C’est comme dans les autres industries et c’est ça le danger pour le Canada. Donald Trump veut rapatrier des entreprises aux États-Unis» ou «convaincre des entreprises canadiennes de s’y installer», a ajouté Saibal Ray.

Son collègue de l’Université McGill, le professeur de marketing Vivek Astvansh, qui a travaillé dans l'industrie des semi-conducteurs, ne craint pas qu’IBM, «qui est bien installé au Canada depuis 1972», décide de quitter le pays.

Le plus gros problème, selon Vivek Astvansh, c'est «l’incertitude» créée par les menaces du président américain.

Cette incertitude pourrait faire en sorte que IBM, Québec et Ottawa se retiennent d’investir dans la filière des semi-conducteurs, une technologie importante dans l’économie du 21e siècle.

Selon le professeur Astvansh, «l’imprécision et les zones grises» dans le libellé du décret du président Trump laisse toutefois croire que les semi-conducteurs pourraient être exemptés des tarifs.

«Il est possible que les tarifs s’appliquent aux biens tangibles» et non aux produits qui traversent la frontière pour être «testés et assemblés», a-t-il mentionné.

Des centaines de millions investis

La création de cet écosystème, de cette grappe industrielle, s’est faite sur plusieurs années et a nécessité des investissements colossaux.

Par exemple, en avril dernier, lors d’une visite du premier ministre Justin Trudeau à l’usine d’IBM, le gouvernement fédéral avait annoncé un investissement de près de 60 millions $ et Québec avait annoncé une somme de 38,9 millions $ pour le développement de la filière des semi-conducteurs.

Trois mois plus tard, le gouvernement du Canada annonçait un autre investissement, cette fois-ci de 120 millions $, dans la fabrication et la commercialisation de semi-conducteurs.

Une partie des sommes annoncée par le fédéral au printemps dernier était destinée au Centre de collaboration MiQro Innovation (C2MI) à Bromont.

C2MI se décrit comme «le plus grand centre de recherche et de développement en systèmes électroniques au Canada».

La Presse Canadienne a sollicité une entrevue avec C2MI pour tenter de comprendre quels seraient les impacts pour la grappe des semi-conducteurs, si des tarifs douaniers de 25 % étaient imposés aux produits canadiens par les États-Unis.

La présidente-directrice générale de l’organisation, Marie-Josée Turgeon, a répondu que l’organisation tentait de «colliger toutes les informations afin de comprendre et mesurer les impacts globaux» d’éventuels tarifs américains.

«Lorsque nous aurons une image plus claire de tous les impacts directs et collatéraux, nous serons en mesure de partager les informations», a-t-elle ajouté.

Selon la dirigeante de C2MI, «au Québec, l’industrie de l’électronique représente plus de 45 000 emplois, 5,5 milliards $ en retombées économiques par année et 730 entreprises, dont 86 % exportent leurs produits à l’étranger, majoritairement aux États-Unis».

La Presse Canadienne a également sollicité une entrevue avec IBM Canada, mais l'entreprise n'avait pas répondu au moment d'écrire ces lignes.

Le «corridor Albany-Bromont»

Les joueurs nord-américains de cette industrie sont concentrés dans les États de New York, du Vermont et dans la région de Bromont au Québec.

C’est en raison de la proximité géographique des entreprises qui forment cet écosystème, des deux côtés de la frontière, que les politiciens comme Justin Trudeau parlent du «corridor Albany-Bromont», un peu à l’image du corridor «Windsor-Détroit» pour le secteur de l’automobile.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne