Témoins «pleins de marde»: «C'est un total manque de jugement», dit Legault
Temps de lecture :
3 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Le premier ministre François Legault a condamné mercredi les propos du député libéral franco-ontarien Francis Drouin qui a lancé à deux témoins qui militent pour la protection du français au Québec qu'ils tiennent des propos «extrémistes» et qu'ils sont «pleins de marde».
«C'est un total manque de jugement», a tranché mercredi le premier ministre François Legault, lors d'une mêlée de presse à l'Assemblée nationale.
Quelques minutes plus tôt, son ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a jugé que les propos sont «absolument indignes» et qu'en refusant de les «condamner», c'est tout le gouvernement libéral de Justin Trudeau qui a «un examen de conscience» à faire.
«Il s'est fait exposer un fait statistique, scientifique, mathématique, et il a répondu par des insultes. Ensuite, il a été en quelque sorte défendu ou excusé par le premier ministre et par des ministres», a déploré M. Roberge.
La prise de bec vulgaire a eu lieu lundi au comité permanent des langues officielles alors que deux témoins – un chercheur et un professeur de cégep – ont expliqué que lorsqu'un francophone ou un allophone fréquente une université ou un cégep anglophone, cela augmente significativement la probabilité qu'il mène ensuite sa vie en anglais.
Ils avaient été invités pour commenter une étude portant sur le financement des institutions postsecondaires anglophones au Québec et francophones ailleurs au pays.
Mercredi matin, M. Drouin a déploré que certains «extrapolent» en affirmant qu'il insulte ceux qui défendent la langue française. Il juge cependant que les deux témoins ont fourni une explication «simpliste» et qui ne fait pas «l'unanimité» au sein de la communauté des chercheurs.
«Je comprends, bien sûr, s'il y a des anglophones qui ont le continuum de la petite enfance, vont à l'école en anglais, vont à l'école primaire en anglais, vont à l'école secondaire en anglais, font leurs études postsecondaires en anglais. (...) C'est sûr qu'ils vont vivre leur vie en anglais», a-t-il dit aux journalistes.
M. Drouin, qui avait retiré ses paroles immédiatement après les avoir prononcées, a noté qu'il accepterait «bien sûr» de s'excuser «si les deux témoins se sentent vexés», ce qui n'est pas venu à ses oreilles.
Appelé à commenter, le ministre Roberge a jugé que de «retirer ses propos avec un petit sourire, ce n'était pas suffisant» et que le député doit s'excuser.
Il juge aussi que le premier ministre Trudeau doit passer de la parole aux actes en posant des gestes concrets comme donner au commissaire aux langues officielles de nouveaux pouvoirs.
À leur arrivée à la réunion du caucus libéral, comme la veille, plusieurs ministres se sont portés à sa défense, à commencer par le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault.
«Quand on a des francophones qui étudient en Alberta, comme moi, j'ai fait au campus Saint-Jean, ça n’a pas francisé la province de l'Alberta. Et si on regarde le nombre d'étudiants qu'on a au Québec, ça n’anglicise pas la province non plus», a-t-il déclaré.
Démission d'une association de parlementaires?
Pour sa part, le Bloc québécois distribue maintenant des lettres pour pousser l'élu à démissionner de son poste de président de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).
«Monsieur Drouin s’est disqualifié lui-même quant à son mandat de contribuer au rayonnement de la langue française à l’international en refusant de débattre sereinement du rayonnement du français ici même, au Québec, principal foyer de la langue française en Amérique», mentionne le député bloquiste René Villemure dans ses missives envoyées mardi soir.
Le député de Trois-Rivières, qui est aussi l'un des deux vice-présidents de la section canadienne de l'APF, a envoyé des lettres similaires à l'autre vice-président – le député libéral de la Nouvelle-Écosse Darrell Samson –, aux membres du comité exécutif et une copie aux membres de la section canadienne de l'organisation interparlementaire.
Il s'y désole que M. Drouin ait «injurié grossièrement» les deux témoins et que l'élu fasse preuve d'«aveuglement volontaire» dans une conversation qui porte sur le déclin du français et la responsabilité du gouvernement fédéral.
Cette conduite et le refus de s'en excuser est «inacceptable et indigne de la fonction de défenseur de la Francophonie», écrit M. Villemure, qui non seulement demande sa démission de la présidence de la section canadienne, mais également qu'il quitte ses fonctions sur la scène internationale, ce qui implique qu'il ne soit plus à la tête de l'organisation. «Je vous invite à y réfléchir», conclut-il.
Le ministre Roberge a indiqué qu'il n'est pas prêt à aller «jusque là» aujourd'hui. Et le député Samson veut prendre le temps d'étudier la lettre.
- Avec des informations d'Émilie Bergeron à Ottawa et Caroline Plante à Québec
Michel Saba, La Presse Canadienne