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Le discours politique doit d'abord changer pour valoriser la médecine familiale

durée 09h00
12 mai 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — De nombreux Québécois n'ont toujours pas accès à un médecin de famille et les solutions ne sont pas simples. La Presse Canadienne a discuté avec plusieurs étudiantes en médecine familiale et médecins aguerries sur la valorisation de leur profession. Elles sont toutes convaincues que le discours politique doit d'abord changer. 

Les résultats du deuxième tour de jumelage en résidence ont montré une hausse des étudiants ayant choisi la médecine de famille. Malgré l'augmentation, la majorité des postes vacants sont en médecine familiale au Québec (70 postes). 

Le gouvernement Legault assure qu'il fait «des efforts considérables» pour augmenter les capacités de formation des facultés de médecine.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a annoncé cette semaine que la politique doctorale autorisera 1165 nouvelles inscriptions au doctorat en médecine pour 2024-2025, soit 335 de plus qu'en 2018. Le gouvernement espère ainsi former 660 nouveaux médecins sur quatre ans.

«C’est vrai qu’il y a un problème de recrutement de poste en médecine familiale. Chaque année, on ne comble pas tous les postes pour un paquet de raisons», a déclaré Sarah Guertin, de l'Université de Sherbrooke, qui fera sa résidence l'an prochain au GMF-U Jacques-Cartier. 

«Chaque année, il y a des postes qui restent vacants, on manque énormément de médecins de famille et on ne s’enligne pas pour améliorer la situation parce que les médecins qui prennent leur retraite, souvent, ce sont des médecins qui ont beaucoup de patients à leur charge», a soutenu Laura Mandjelikian, médecin de famille dans la région de Montréal

Au Québec, 25 % des médecins de famille ont plus de 60 ans, ce qui laisse présager certains départs à la retraite au cours des prochaines années. 

«Pour remplacer un médecin qui part à la retraite, on a souvent besoin de deux ou trois nouveaux gradués pour prendre la relève, évalue Dre Mandjelikian. De ce que je vois, on s’enligne pour avoir de plus en plus de patients sans médecin de famille.»

Mme Guertin reconnaît que les départs à la retraite sont un défi, mais pour l'instant, dans le contexte de sa jeune carrière, elle ne s'en inquiète pas trop. «Je pense qu’on travaille sur cet aspect pour justement valoriser la profession, partage-t-elle. On essaie de diminuer la paperasse que les médecins de famille doivent faire au quotidien. Ce sont de petits détails qui font que ça va diminuer les irritants au fil du temps, mais on ne peut pas prendre une baguette magique et changer cela du jour au lendemain.»

Pamela Hafazalla, médecin de famille dans la région de Laval et des Laurentides, qui s'est surspécialisée en pédiatrie, vit les effets des départs à la retraite. 

«On est de plus en plus saturé, ce qui fait que ces patients sont retournés sur la liste du guichet d’accès à un médecin de famille, explique-t-elle. Ils se retrouvent sans médecin de famille jusqu’à ce qu’il y ait une nouvelle disponibilité.»

Cesser le blâme sur les médecins

Dre Mandjelikian croit que le recrutement en médecine familiale est difficile notamment puisque les externes constatent les défis liés à la profession. «Ils le voient les étudiants quand ils font leur stage avec nous en médecine familiale que notre pratique est rendue de plus en plus lourde. On manque de ressources, on manque de soutien», dit-elle, ajoutant que cela pousse probablement certains à choisir une autre spécialité. 

«C’est complexe, mais il y a une grosse réorganisation de la pratique qui est nécessaire pour que ce soit plus intéressant pour les médecins de famille et qu’on soit moins épuisés et utilisés à bon escient», a déclaré Dre Mandjelikian. 

Gabrielle Guillemet, de l'Université Laval, qui commencera une résidence en médecine familiale en juillet, abonde dans le même sens. 

«Ce qui me fait paniquer un peu c’est de voir à quel point il y a encore beaucoup de monde qui n’ont pas de médecin de famille, admet-elle. Et même si on va avoir plus de (patients) à notre charge, nécessairement, on ne peut pas en prendre des centaines de plus.»

Elle critique la limite de patients par médecin de famille que le ministre Dubé souhaite augmenter. «Si on en met trop, et bien, les médecins ils vont péter au frette et on va se ramasser avec encore moins de médecins de famille pour tous les patients», lâche-t-elle. 

Elle reconnaît que c'est un enjeu difficile à gérer, mais elle souhaite voir le discours du gouvernement changer. 

Camille Boileau, de l'Université de Sherbrooke, qui a terminé sa première année de résidence au GMF-U Charles-Lemoyne, aimerait aussi un discours plus positif de la part de nos politiciens. 

«On entend les discours politiques qui mettent trop souvent la faute sur les médecins de famille qui ne fournissent pas à faire diminuer les listes d’attente. On ne met jamais l’emphase sur ces médecins qui vont soigner d’arrache-pied chaque jour plein de patients», souligne-t-elle. 

Mme Boileau fait aussi valoir qu'au Québec, on parle souvent en termes de statistique. «Dans les discours politiques, on valorise beaucoup le débit dans une pratique au lieu de l’humanité, constate-t-elle. Pourtant, la raison pourquoi la plupart d’entre nous ont choisi la médecine de famille c’est pour le contact humain avec le patient.

«Cette dualité peut parfois être lourde à porter, poursuit-elle. Les contraintes organisationnelles en ce moment font lutter constamment notre désir d’offrir le meilleur des services aux patients dans un temps qui est somme toute limité. En attirant beaucoup de négatifs sur la première ligne, on décourage les personnes de s’y engager.» 

Dre Hafazalla a fait le même constat. Elle a déclaré qu'on met souvent l'accent sur l'accès aux médecins et qu'on montre du doigt qu'ils ne prennent pas assez de patients à leur charge. «Le discours gouvernemental laisse à présumer qu’en tant que médecin de famille, on ne fait pas assez notre part alors qu’on l’a vu durant la COVID, on a été beaucoup mobilisé justement à changer nos activités de première ligne pour supporter le système.»

La population et les universités 

La valorisation auprès de la population joue aussi un rôle dans l'attraction de la profession. Mme Guillemet a raconté que durant son parcours académique, on lui demandait souvent si elle voulait se spécialiser ou si elle voulait «juste être médecin de famille». 

«Ma spécialité c’est la médecine familiale et je suis fière de ça. C’est une spécialité comme une autre», défend l'étudiante. 

Selon elle, il faudrait réussir à conscientiser la population sur le fait que la médecine de famille est une spécialité. «Quand on fait nos études en médecine, on ne devient pas automatique médecin de famille. Donc un chirurgien n’a pas les compétences que le médecin de famille a et le médecin de famille n’a pas non plus les compétences du chirurgien. C’est vice-versa», explique-t-elle. 

Mme Boileau a par ailleurs souligné que les universités font des efforts importants pour valoriser la médecine de famille. Elle souhaite toutefois que davantage de médecins de famille enseignent. «Ça serait un bon pas en avant, selon moi». 

Mme Guillemet partage son avis. Elle a fait savoir qu'à l'université les cours théoriques sont surtout axés sur les spécialités. «Il y a quelques médecins de famille qui viennent nous voir, mais il y a surtout d’autres spécialistes, indique-t-elle. Nous donner des cours plus axés sur la médecine familiale, ça pourrait être intéressant, mais je comprends aussi qu’on a des programmes déjà chargés.»

Les étudiantes et médecins sondées par La Presse Canadienne ont aussi partagé la passion qu'elles ont pour leur métier. Les médecins de famille accompagnent une personne tout au long de leur vie, ils développent une relation de confiance avec elle. Ils peuvent voir le patient dans sa globalité et chaque journée est très diversifiée, pouvant passer en quelques heures de la cardiologie, à la santé sexuelle, au musculosquelettique. 

Elles ont aussi mis de l'avant que la médecine familiale est un travail d'équipe et que plusieurs autres professionnels peuvent aider à désengorger la première ligne. 

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Katrine Desautels, La Presse Canadienne